« Au-dedans de la mer inconnue, vivre »
Extrait du recueil « Impossible Nuit »

Carte du monde, XVIIᵉ siècle
À travers mes lectures, mes notes d’historien et mes propres expériences, j’ai voulu comprendre pourquoi l’humanité trébuche sans cesse sur les mêmes travers. Entre peur collective, violence, guerre, ego… et ce qui, malgré tout, continue de nous sauver : la beauté, la lumière, l’art, la poésie, l’humour et l’espérance…
Dans une autre vie, j’ai été passionné par l’histoire, que j’ai étudiée à l’université.
Je me souviens des heures passées à fouiller les archives pour mon mémoire de master, à chercher les liens entre les événements, les causes, les conséquences et à lire quantité d’ouvrages.
Puis la vie a pris d’autres chemins.
Mais ce désir de comprendre est resté là. Discret, mais tenace.
Cette question, je n’ai jamais eu le temps de l’explorer comme je l’aurais voulu :
Pourquoi recommençons-nous toujours les mêmes erreurs ?
Pourquoi l’expérience de l’histoire ne nous protège-t-elle pas ?
Pourquoi l’humain retombe-t-il constamment dans les mêmes égarements ?
Depuis des années, j’ai accumulé des livres sur ces thèmes.
Mais cette fois, pour cette fin d’année, j’ai décidé d’y revenir pleinement.
De relire, de réfléchir, et de partager avec vous ce qui en ressort, – entre mes lectures (voir la bibliographie plus bas) et mes expériences personnelles, – pour essayer de comprendre s’il y a vraiment de quoi déprimer, ou non.
Et d’ouvrir le débat avec vous.
En effet, il y a dans l’air, depuis quelques années, une inquiétude que l’on croyait enterrée.
Comme un arrière-goût d’histoire qui se répète et qui revient frapper à la porte.
On parle à nouveau de tensions, de puissances, de blocs.
Certains murmurent même l’idée d’une troisième guerre mondiale.
Et l’on se demande, presque désemparés :
comment se fait-il que l’humanité, après tant de drames, en revienne aux mêmes peurs ?
Ce n’est pas que l’histoire ne nous apprend rien.
C’est peut-être plutôt que nous oublions trop vite.
Nos sociétés évoluent plus rapidement que notre capacité à donner du sens à ce que nous vivons.
Alors, quand les récits collectifs se fissurent, quand personne ne sait plus dire ce qui nous unit, la peur s’installe à la place.
Elle ne fait pas grand bruit : elle glisse, elle imprègne, elle referme l’horizon.
Et soudain, l’autre n’est plus un visage, mais une menace.
Le monde se rétrécit, et la méfiance devient une manière de se protéger.
La guerre, elle, revient toujours par opportunisme.
Parce qu’elle simplifie ce qui est complexe.
Parce qu’elle offre des réponses rapides à des angoisses profondes.
Parce qu’elle transforme la peur en énergie, et l’incertitude en certitude.
On croit que la guerre éclate uniquement pour des raisons géopolitiques ; mais elle éclate aussi souvent parce que nous cessons de penser, parce que la nuance nous fatigue, parce que le bruit et l’immédiateté l’emportent sur la réflexion.
Le mal, lui, n’arrive jamais soudainement.
Il commence par les mots.
Les mots qui dévalorisent, qui séparent, qui excluent.
Les mots qui préparent le terrain aux actes.
Puis il grandit dans l’habitude, dans l’indifférence, dans cette idée sourde que, finalement, « on n’a pas le choix ».
C’est lorsqu’une société ne veut plus voir ce qui se joue qu’elle se met à marcher vers l’abîme.
Et la paix ?
La paix n’est pas un état durable.
Elle n’est pas un décor calme entre deux tempêtes.
C’est un travail.
Une construction fragile qui demande d’écouter, d’accepter, de ralentir.
La paix vieillit vite si on ne la protège pas.
Elle demande un courage discret, presque contre-nature : celui de renoncer à la facilité du conflit.
Mais il existe une autre dimension, plus intime, plus sournoise, qui explique aussi ce constant retour du sombre : la nature humaine elle-même.
Non pas une fatalité, mais une fragilité profonde.
L’humain porte en lui un ego inquiet :
Un besoin d’être reconnu, d’exister, de ne pas disparaître.
Et quand le monde devient trop instable, trop rapide, trop ambigu, l’ego se crispe.
Il cherche des réponses simples, des coupables, des certitudes.
C’est ainsi qu’il transforme les nuances en menaces, et les autres en adversaires.
L’ego cherche aussi un groupe où se fondre.
Il veut appartenir, être protégé, se rassurer.
Alors il se réfugie derrière des identités fermées, des clans, des camps — tout ce qui promet de sauver du vertige de la liberté.
C’est là, souvent, que commencent les inimitiés, les exclusions, le refus de l’autre.
La rivalité entre les egos est un moteur puissant :
on désire ce que l’autre désire,
on craint ce qu’il craint,
on reproduit ses gestes.
La violence, parfois, n’est que cela :
une mimétique incontrôlée qui se propage comme une onde.
Et lorsque la pensée se fatigue, lorsque la responsabilité se dissout, l’ego devient un terrain vulnérable.
Il se laisse séduire par les récits qui rétrécissent le monde,
par les explications rapides,
par les slogans qui évitent de penser.
C’est ainsi que l’histoire se met à bégayer.

Verbier, septembre 2023
En même temps – et c’est ce qui nous sauve –
l’ego n’est pas tout l’humain.
Plus profond que lui, il y a une autre force :
celle qui relie, qui apaise, qui ouvre, qui espère.
Celle qui nous rappelle que nous pouvons choisir autre chose que la peur.
Et c’est là que l’espérance revient.
Parce qu’aucun de ces penseurs – ni les plus sombres, ni les plus lucides – ne tombe dans le fatalisme.
Tous disent, chacun à leur manière, qu’une force de vie demeure en nous :
un désir de comprendre,
un besoin d’aimer,
une capacité à la bonté, même fragile, même discrète.
Et c’est là qu’intervient l’art.
L’art, la beauté, la poésie, non pas comme échappatoire, mais comme geste de résistance.
Elle redonne de la sensibilité là où tout se durcit.
Elle déjoue la langue mécanique des slogans.
Elle nous rend plus lucides, plus vulnérables, donc plus vivants.
La poésie, en un sens, rétablit notre capacité à dire non à la peur, à la violence, à l’obscurantisme.
Elle ravive en nous cette part qui voit, qui ressent, qui espère.
Elle nous met en état d’humanité, cet état fragile mais puissant, d’où tout peut recommencer.
Alors oui, l’état du monde inquiète aujourd’hui.
Oui, l’histoire semble bégayer.
Mais tant qu’il restera un poème, une œuvre, un visage, une main tendue ;
tant qu’il restera un geste de beauté, même ténu,
le sombre n’aura jamais tout à fait gagné.
Et peut-être que cette lumière-là,
la plus humble, la plus nue,
est précisément celle dont nous avons le plus besoin aujourd’hui.

Aquarelle de Pascale Chervaux, présente dans mon dernier recueil « Impossible Nuit », publié chez L’Harmattan et que vous pouvez retrouver dans toutes les librairies en France, en Suisse et à Genève en particulier.
Pour terminer, voici un poème, en lien avec ce qui précède, tiré de « Impossible Nuit », page 13 :
Toi qui regardes
Raconte-nous les fleurs
L’anémone qui roucoule
Le blé endormi
La fabacée qui fanfaronne
Raconte-nous l’exil
Quand le brouillard s’accroche
Et le hibou s’agrippe
Dans le repos du borgnon
Le passant écoutera bientôt le murmure
A la naissance de la lumière
Lorsque brûlera le petit jour.
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Maria Mettral says:
Merci mon cher Blaise!
grand plaisir à te lire!
Tes mots résonnent si bien dans cet immense rumeur qui nius détournent de l’essentiel!
Albert Anor says:
Bonjour cher Blaise, tu t’attaques à un gros morceau avec passion !
J’aurais beaucoup de choses à dire sur la manière que tu as d’aborder ce problème existentiel et vital mais ce serait un peu long et fastidieux par écrit…et comme la forme rejoint le fond, je ne suis pas toujours d’accord avec tes conclusions, notamment sur la notion de « répétition de l’histoire » …Mais je me réjouis de notre prochaine rencontre pour que nous puissions débattre et partager nos points de vue!
Berger says:
Très bons textes , clairs , semant la réflexion féconde . Vous relevez pertinemment la grande faiblesse de l’humain qui pourrait bien trouver , à mon sens , son origine dans sa peur surgie à l’aube de l’humanité et insufflant à la fois agressivité et attitude défensive .
L’art ? Il nous aide à vivre , certes . Et ce sont là joies plus ou moins éphémères . La Beauté n’a pas sauvé le monde !
Ni les superbes peintures des grottes de Lascaux , ni les temples grecs , ni la perfection des pyramides , ni le Colisée , ni Piero della Francesca ( peut-être le plus illustre de tous les grands peintres ), ni Rubens , ni le génial Vermeer , ni Picasso avec son puissant Guernica peint avant la guerre comme un avertissement des horreurs à venir , n’ont empêché les conflits , les guerres qui sont toujours la règle , la paix étant l’exception.
Quant aux grandes œuvres de l’esprit , celles de Platon , aristote , St – Thomas , Spinoza , Kant , Hegel, Schopenhauer , Bergson pas davantage . Certes elles ont permis l’éclosion de pensées nouvelles , ont marqué de leurs sceaux l’avènement de mondes nouveaux, ont humanisé la civilisation sans pour autant supprimer durablement les conflits meurtriers .
Alors ? Où se trouve la beauté et la pensée salvateurs ?
Dans un petit livre très pénétrant , dont le titre est « la beauté sauvera-t- elle le monde ? » paru il y a assez longtemps , feu le cardinal Martini écrivait que « la beauté qui sauve est , à l’exemple du Christ , la compassion à la peine , à la souffrance de l’autre ! »
Parole remarquable et qui montre aussi les limites de l’art et de l’esprit en tant que créations et émanations purement humaines comme si seule le dépassement de l’art était , paradoxalement , salvateur et ce durablement si nous agissons guidé par la seule valeur de l’Amour dont Paul
Valéry disait , la veille de sa mort , qu’il prenait tout son sens en Jésus – Christ …
Ftançois Berger , 2072 St – Blaise
Riere Marie says:
Un rayon de soleil,
à travers les nuages.